Après l’imbroglio portant sur la défense de Piotr Pavlenski, c’est le statut de réfugié politique de l’activiste russe qui suscite la confusion. Alors que le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a fait savoir, mercredi 19 février, qu’il comptait « remettre en cause » le statut de réfugié de l’artiste contestataire, une telle procédure semble avoir peu de chances d’aboutir.
Dès le début de cette affaire portant sur la diffusion de vidéos intimes ayant conduit Benjamin Griveaux à retirer sa candidature à la Mairie de Paris, plusieurs voix s’étaient élevées pour demander à ce que l’artiste perde son droit d’asile, obtenu en mai 2017.
« Qu’on foute ce mec dehors, il est réfugié politique, il est venu demander l’asile mais il se comporte comme un salopard », avait réagi, vendredi soir, le député de l’Eure La République en marche (LRM) Bruno Questel sur le plateau de la Chaîne parlementaire, estimant que l’activiste russe n’avait « aucune notion de ce qu’est un comportement adapté dans une société éclairée ». « Il verra avec Poutine s’il peut faire ce genre de conneries », a ajouté le député.
« Nous pourrons remettre en cause son statut de réfugié »
Plus mesuré, le ministre de l’intérieur a précisé qu’une telle éventualité était envisagée, uniquement en cas de condamnation judiciaire de M. Pavlenski. « On verra s’il est sanctionné pour cela et nous pourrons effectivement remettre en cause son statut de réfugié à ce moment-là », a déclaré, mercredi matin, sur France Inter, M. Castaner.
« Ce que j’attends de quelqu’un que l’on protège dans le cadre d’un statut de réfugié politique, c’est qu’effectivement il soit un citoyen exemplaire », a-t-il ajouté, rappelant que l’activiste russe devait « rendre des comptes à la justice française dans deux affaires ».
C’est d’ailleurs pour ses démêlés judiciaires dans son pays d’origine que M. Pavlenski, qui se revendique de « l’art politique », s’est vu accorder l’asile politique en France. Plusieurs fois condamné pour ses performances artistiques – dont l’incendie des portes du siège de l’ancien KGB à Moscou pour dénoncer un « pouvoir qui se maintient par la terreur » –, c’est pour une affaire de mœurs que M. Pavlenski est arrivé en France, en décembre 2016.
Poursuivi en Russie pour avoir agressé sexuellement une comédienne de 23 ans lors d’une soirée libertine, M. Pavlenski a toujours dénoncé un complot politique destiné à le pousser à l’exil. Bénéficiant de l’asile politique alors qu’il n’était pas inquiété pour des motifs politiques, l’activiste russe « a obtenu ce statut en sa qualité d’artiste engagé et menacé dans son pays », insiste son avocate de l’époque, Dominique Beyreuther-Minkov, contactée par Le Monde.
Organe sous tutelle du ministère de l’intérieur chargé d’octroyer l’asile, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a en effet considéré ces menaces comme fondées, accordant le statut de réfugié à M. Pavlenski cinq mois après sa demande.
Deux motifs peuvent justifier la perte du statut
Accordé il y a bientôt trois ans, ce statut peut-il désormais lui être retiré ? Selon l’article L711-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), deux motifs peuvent mettre fin au statut de réfugié. S’il y a « des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l’Etat », comme des faits d’espionnage ou de terrorisme, rapporte le texte de loi.
Ou encore si « la personne concernée a été condamnée en dernier ressort (…) soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d’emprisonnement, et [que] sa présence constitue une menace grave pour la société française ». Ce qui est précisément le cas de Piotr Pavlenski. S’il n’a été condamné qu’à trois ans de prison (dont deux avec sursis) pour l’incendie place de la Bastille des portes d’une succursale de la Banque de France, en octobre 2017, l’acte était en effet passible de 10 ans d’emprisonnement, selon l’article 322-6 du code pénal.
Mardi, il a été mis en examen pour « atteinte à l’intimité de la vie privée » et « diffusion sans l’accord de la personne d’images à caractère sexuel », pour son rôle dans la conservation, la transmission et la diffusion des vidéos intimes de M. Griveaux. Un délit pénal passible de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende.
Il fait également l’objet d’une information judiciaire ouverte par le parquet de Paris lundi pour des faits de violences avec arme commis le 31 décembre à l’occasion d’une soirée « massive, souveraine et crépusculaire » — selon les termes de l’invitation — organisée par l’avocat Juan Branco.
« Il a poignardé deux personnes dont une au visage avec douze points de sutures, frappé une troisième personne et organisé sa fuite et sa disparition pendant un mois », a rappelé le ministre de l’intérieur sur France Inter. Pour ces faits, la loi prévoit trois ans d’emprisonnement pour des violences volontaires sans circonstances aggravantes. L’activiste russe doit être auditionné sur ce dossier dans les prochains jours, par un juge d’instruction, en vue d’une éventuelle mise en examen.
L’Ofpra n’a pas été saisi
« Le ministre de l’intérieur se réserve le droit de saisir l’Ofpra pour que son statut soit étudié », a fait savoir au Monde l’entourage de M. Castaner, précisant qu’« un juge, une institution ou un ministre peuvent demander à l’Ofpra de se pencher sur cette question à la suite d’une condamnation ».
Si la justice confirme une ingérence manifeste de la part de Piotr Pavlenski pour déstabiliser le pouvoir en place — infirmant de ce fait la piste d’un homme seul qui s’adonne au revenge porn (pornodivulgation en français) —, le ministère de l’intérieur réfléchira à saisir l’Ofpra, rapporte une autre source Place Beauvau. Pour l’heure, l’Ofpra ne s’est pas autosaisi, ni n’a été saisi, sur cette question, comme la législation l’y autorise en cas d’éventuel risque pour l’ordre public.
Dans le cas, rarissime, où une demande aboutit, la France ne renvoie pas ceux qu’elle a déchus de leur statut dans leur pays d’origine. « Même si une personne a été exclue, il n’en demeure pas moins qu’elle craint pour sa vie dans son pays d’origine », rappelle Caroline Barbot-Lafitte, avocate en droit des étrangers à Toulouse, qui précise à L’Express qu’« on ne peut pas vous ôter la qualité de réfugié ».
Les personnes déchues de leur statut se voient donc ôter leurs droits de réfugié politique et sont généralement assignées à résidence. Reste enfin les recours devant la Cour nationale du droit d’asile.
Mise à jour du 20 février à 11 h 30 : correction de l’article suite à une mauvaise interprétation de l’article L711-6
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