Des pirogues sur la plage de Thiaroye-sur-mer, au Sénégal. Crédit : InfoMigrants
Des pirogues sur la plage de Thiaroye-sur-mer, au Sénégal. Crédit : InfoMigrants

Une pirogue a fait naufrage la semaine dernière au large du Sénégal après l'explosion de son moteur. Depuis, le pays est sous le choc et le président Macky Sall a lancé un appel pour "préserver la vie des jeunes tentés par l'émigration". Mais selon un association locale, l'État "n'a pas pris la mesure" du désespoir de la jeunesse sénégalaise.

Les départs depuis les côtes ouest-africaines s'accentuent, et concernent de plus en plus de ressortissants sénégalais. Depuis le début du mois d'octobre, la marine sénégalaise, appuyée par la Guardia civil espagnole, a déjà secouru une dizaine de pirogues en direction des îles Canaries, secourant au total plus de 600 personnes.

Ces deux derniers jours, lundi 26 et mardi 27 octobre, deux embarcations de plusieurs centaines de migrants ont ainsi été interceptées, après une panne de moteur, a rapporté l'Agence mauritanienne d'information (AMI). Deux corps non identifiés ont été découverts sur l'une de ces embarcations à bord de laquelle se trouvaient en majorité des Sénégalais.

Quelques jours plus tôt, vendredi 23 octobre, une explosion s'est déclenchée à bord d'une embarcation située au large de M'bour, à plus de 80 kilomètres de Dakar. La marine sénégalaise a affirmé avoir secouru 51 passagers, sans préciser le nombre initial des occupants. Le chef de l'État Macky Sall a déploré sur Twitter "la perte de plus d'une dizaine de jeunes". Les médias sénégalais ont évoqué, eux, sur la base des témoignages des rescapés, la disparition de plusieurs dizaines de personnes.

Plusieurs familles de la ville côtière de Saint-Louis, dans le nord du pays, ont indiqué être sans nouvelles de 14 de leurs proches après l'explosion du 23 octobre. Elles observaient mardi les rituels du deuil musulman, a constaté un correspondant de l'AFP.

L'État sénégalais mis en cause

Ce naufrage a suscité un vif émoi au Sénégal, où il a été largement débattu dans les médias et sur les réseaux sociaux. Des photos de jeunes présumés disparus ont été publiées sur internet.

Le président Macky Sall a lancé "un appel aux populations à plus de vigilance et à la collaboration avec les forces de défense et de sécurité pour préserver la vie des jeunes tentés par l'émigration". 

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Le débat a rapidement pris une tournure politique. L'ancien Premier ministre Abdoul Mbaye a mis en cause le chef de l'État sénégalais. "De grâce, ne les laissez pas partir vers le mirage et souvent la mort. De grâce, retenez-les par l'emploi et l'espoir. De grâce, cessez de désespérer nos jeunesses (par) la mal-gouvernance, la corruption et l'injustice", a-t-il écrit sur Twitter.

Des propos largement partagés par Moustapha Diouf, président de l'association des jeunes rapatriés de Thiaroye-sur-mer (AJRAP), contacté par InfoMigrants. "Il faut que l'État sénégalais reconnaisse ses erreurs. Nos gouvernants n'ont pas pris la mesure de qu'il se passait dans le pays", assure Moustapha Diouf qui tente de sensibiliser la jeunesse aux risques de l'immigration clandestine. "L'heure est grave, il faut des actions concrètes", continue-t-il.

"Il n'y a pas d'avenir"

Selon ce pêcheur, qui a lui-même tenté de fuir vers les îles Canaries au début des années 2000, "les gens sont fatigués". "Les jeunes Sénégalais sont pauvres, ils ont besoin d'argent pour payer leurs études et faire vivre leur famille. À quoi ça sert de rester ici alors qu'il n'y a pas d'avenir ?" Avec son association, Moustapha a bien financé des formations dans l'agriculture, la mécanique ou l'électricité mais une fois diplômés, les jeunes ne trouvent pas de travail, explique-t-il.

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De plus, au Sénégal, beaucoup de familles vivent de la pêche. Mais des accords signés entre l'Union européenne et le Sénégal ont provoqué la perte de cette ressource. Les pêcheurs sénégalais sont confrontés à l'épuisement des stocks de poissons et à l'accaparement de leurs ressources halieutiques, notamment par les énormes chalutiers européens qui sillonnent les côtes sénégalaises.

"Si la pêche ne rapporte plus, plus rien ne marche ici", signale encore le président de l'AJRAP. "J'essaye de les raisonner afin qu'ils restent ici, l'Afrique a besoin de sa jeunesse. Mais quand je vois ce qu'il se passe, je ne peux pas leur en vouloir".

 

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