Défis humanitaire et sanitaire pour l’« Ocean Viking »

Le départ est imminent et des planches sont encore en train d’être découpées pour bâtir le futur sas de décontamination. Le navire se prépare à des opérations de sauvetage en Méditerranée « complexifiées » par la logistique liée au coronavirus.

21/06/2020 | 17h40

Sur le port de Marseille, sur le bateau-ambulance de SOS Méditerranée, qui porte assistance aux naufragés sur cette route migratoire la plus meurtrière du monde, les marins-sauveteurs mettent la dernière main aux préparatifs avant un départ prévu lundi pour patrouiller au large des eaux libyennes.

Le navire rouge et blanc de 69 mètres n’a pas l’air d’avoir changé depuis trois mois qu’il est à quai, bloqué par la crise sanitaire. Mais à bord, tous les ajustements et la réflexion ne vont que dans un sens : éviter, à tout prix, la propagation du virus.

Sur le pont, près du conteneur où peuvent s’abriter femmes et enfants, un lieu servait auparavant à prendre une première douche pour les victimes de brûlures graves liées au mélange d’essence et d’eau salée. Ce sera désormais un sas de décontamination.

Une fois les dernières planches posées, et peintes en rouge, l’endroit servira aussi à délimiter la partie extérieure, considérée comme contaminée dès lors que des naufragés seront à bord, et l’intérieur du bateau, où les marins ont déjà subi deux tests et une quatorzaine préventive.

Si des cas de Covid-19 étaient avérés, des lieux d’isolement ont également été prévus dans plusieurs conteneurs.

« Ça complexifie énormément notre travail. On a revu toutes nos procédures, de l’accueil des personnes jusqu’aux opérations de sauvetage. Il a fallu couper le bateau en morceaux, pour essayer d’empêcher que le coronavirus ne s’y propage, ce qui peut être catastrophique », déplore Nicholas Romaniuk, le coordinateur des opérations.

« Pendant des années, on a sauvé des gens qui ont été blessés par balle, victimes de torture, de violences sexuelles... On sait faire. Ce qu’on connaît moins, c’est le coronavirus. Donc on a pris des mesures assez drastiques », reconnaît ce vieux routier de l’humanitaire.

Les marins-sauveteurs eux-mêmes seront équipés d’un casque avec visière, lunettes, masque, combinaison intégrale... Ce qui pourrait conduire les naufragés à les confondre avec des garde-côtes libyens, « et généralement quand ils pensent ça, ils se jettent à l’eau pour fuir », s’inquiète Nicholas Romaniuk.

Toutes ces mesures, « ça rajoute du stress et une pression supplémentaire », constate Basile, autre responsable des opérations, lors d’une présentation des mesures sanitaires samedi à bord. « Si on se retrouve sur un sauvetage délicat, notre priorité numéro une, ce sera le sauvetage », prévient-il.

Dominika, responsable de l’équipe médicale de SOS Méditerranée, depuis que Médecins sans frontières (MSF) a décidé de rompre leur partenariat en avril, prône la « flexibilité » : il y aura « des cas plus graves » et « à être trop focalisés sur le coronavirus, on pourrait passer à côté », tempère, devant un stock de 44 000 masques, celle qui faisait auparavant partie de l’équipe MSF à bord.

Les heures qui précèdent le départ sont aussi l’occasion de s’entraîner aux premiers soins. Rassemblés autour d’un mannequin et d’une poupée taille bébé, les 22 membres de SOS Méditerranée ont par exemple appris, ou révisé, le massage cardiaque : 120 compressions minute, soit au rythme du titre des Bee Gees, « Ah, ha, ha, ha, stayin’ alive, stayin’ alive », mime Anne, la médecin à bord.

Depuis deux jours, Ludovic, officier de la marine marchande dans le civil, « bichonne » et fait vrombir de son côté le nouveau semi-rigide « dessiné par SOS » et qui vient d’être livré à bord. Du sur-mesure, après « retour sur tristes expériences », résume-t-il. « On a un max d’espace pour pouvoir réanimer les personnes noyées. Deux moteurs, des barres pour s’accrocher, et on a vu qu’on pouvait en avoir besoin pour ne pas passer par-dessus bord quand c’est l’apocalypse », explique Ludovic.

À l’aube de ce nouveau départ, un détail, sur le bateau, témoigne encore du dernier sauvetage, avant que la pandémie ne plonge les opérations dans l’inconnu : accrochée dans le conteneur dédié aux hommes, une ardoise à craie sur laquelle on peut lire: « LOVE SOS MSF. »